- GIAP (VO NGUYÊN)
- GIAP (VO NGUYÊN)Seul militaire des guerres d’Indochine à être célèbre à l’étranger, le général Vo Nguyên Giap est entré vivant dans la légende vietnamienne. Organisateur de l’Armée populaire du Vietnam, vainqueur des Français à Diên Biên Phu et auteur prolixe d’articles théoriques sur l’art de la guerre populaire, Vo Nguyên Giap est également l’une des figures historiques du Parti communiste vietnamien (P.C.V.). Vice-Premier ministre de 1954 à 1991, il est resté membre du bureau politique du P.C.V. jusqu’en 1982, avant de rejoindre le conseil des conseillers spéciaux du comité central dont sont membres l’ancien Premier ministre Pham Van Dong, l’ex-secrétaire général du parti Nguyen Van Linh et l’ancien président de la République Vo Chi Cong. Si, après la guerre du Vietnam, le général Giap s’est retiré peu à peu du commandement quotidien de l’Armée populaire, sa mise à l’écart politique n’a pas entaché sa légende. Primus inter pares parmi les militaires vietnamiens, il est parfois bien difficile d’attribuer tel ou tel succès ou défaite militaires au général Giap, mais les historiens se souviendront des échecs de l’offensive sur le delta du fleuve Rouge en 1951, des campagnes de 1967-1968 ou de Pâques 1972 autant que de Diên Biên Phu ou de la chute de Saigon le 30 avril 1975.L’homme de légendeIronie de l’histoire, c’est non loin du 17e parallèle qui sépara pendant trente ans le pays en deux que serait né en 1911, dans le village de An Xa (province de Quang Binh), Vo Nguyên Giap. À l’âge de quatorze ans, alors qu’il était encore élève au lycée de Hué, il rejoint les rangs du mouvement nationaliste Tan Viet Cach Mang Dang, ce qui lui vaudra d’être arrêté quelque temps en 1930. Mais c’est à l’université de Hanoi, où il prépare un diplôme de droit, d’économie politique et d’histoire, en 1937, qu’il rejoint le Parti communiste indochinois (P.C.I.). Absorbé par son engagement politique et ses publications, il rédige en 1938 avec Dang Xuan Khu, alias Truong Chinh, une étude sur La Question paysanne . Il ne terminera pas son cursus universitaire. Marié depuis juin 1938 à Nguyen Thi Minh Giang, qui lui a donné une fille en 1939, il devient professeur au lycée privé Thanh-Long d’Hanoi. Convaincu que les Français vont trouver un terrain d’entente avec les Japonais, il milite pour que le P.C.I. prenne dorénavant le commandement de la lutte nationale. Pour étayer cette idée, il publie un nouvel ouvrage en 1939, Le Meilleur Chemin: la question de la libération nationale en Indochine . Sur la base de l’expérience chinoise, il fait valoir qu’il est nécessaire de développer le travail politique auprès des masses, mais aussi de leur inculquer des rudiments d’instruction militaire pour qu’elles puissent se défendre contre les attaques du gouvernement colonial. C’est donc fort logiquement que, dès le début de la Seconde Guerre mondiale, Giap passe dans la clandestinité avant de rejoindre Hô Chi Minh en Chine méridionale, en mai 1940. Il est au côté de ce dernier à Jingxi quand il fonde en 1941 la Ligue pour l’indépendance du Vietnam, le Viêt-minh (Viet Nam Doc Lap Dong Minh). Là, sous le pseudonyme de Duong Huai-nan, il parfait ses connaissances de la langue chinoise et étudie les stratégies militaires de l’Armée populaire de libération chinoise, à laquelle il consacre un autre livre, Les Affaires militaires chinoises . Outre un temps de formation en 1942 dans une école militaire chinoise, Giap passe l’essentiel de la Seconde Guerre mondiale à organiser et à former les unités de la guérilla et des réseaux de renseignement. Installé dans des régions habitées de populations montagnardes, Giap apprend à s’exprimer en tay et en dao.Du politique au militaireQuand, le 22 décembre 1944, l’Armée populaire est officiellement formée, Giap exerce des fonctions de commandement général, tandis que le commandement opérationnel est confié à Hoang Sam. L’objectif n’était pas tant de former une armée régulière que d’armer les masses révolutionnaires et de leur offrir une éducation militaire. En d’autres termes, le parti juge que le moment est venu de passer à l’action de guérilla, compte tenu de la situation propre du mouvement révolutionnaire dans la province de Cao Bang et, plus généralement, sur la scène internationale. L’ossature des forces armées est constituée par les unités de propagande armée instaurées par Giap. L’objectif principal n’est pas la conquête militaire, mais le regroupement, autour des infrastructures politico-militaires du Viêt-minh, des organisations de mobilisation des masses, de l’échelon du village à celui de la province. Il s’agit d’unir les forces de la nation vietnamienne sous la même bannière. Pour reprendre les termes de Hô Chi Minh, le secret du succès de la révolution vietnamienne dépendra de son degré d’unité. Dans ce contexte, en se voyant confier le portefeuille de l’Intérieur au lendemain de la révolution d’août 1945, Giap est un homme politique de tout premier plan avant même d’être un soldat, dans un pays ravagé par la famine. Le jour de la proclamation de l’indépendance, le 2 septembre 1945, il confirme cette impression au côté de Hô Chi Minh quand il prononce un long discours relatif aux problèmes politiques et économiques du pays. Ses difficultés à faire face à la situation font que, bien qu’élu avec 90 p. 100 des voix dans sa circonscription en janvier 1946, il n’est pas reconduit dans ses fonctions gouvernementales mais prend en échange la présidence du conseil militaire. Dès cette époque, Giap pense que seul le recours à la force permettra d’obtenir l’indépendance, mais il n’en participe pas moins aux pourparlers franco-vietnamiens et dirige même la délégation du Viêt-minh, le 18 avril 1946, lors de la conférence de Dalat. Pendant l’ultime séjour de Hô Chi Minh en France, de juin à octobre 1946, il assume de facto la direction du pays. Au cours de cette première année de pouvoir, Giap s’est forgé une image d’homme brutal et doctrinaire. Mis en cause lors de la liquidation du parti nationaliste Viet Nam Quoc Dan Dang (V.N.Q.D.D.) et de ses militants, Giap apparaît comme un homme froid, énergique et déterminé, ce qui lui vaudra le surnom de Nui Lua (le Volcan sous la neige). Certains voient dans ses drames familiaux – son épouse est décédée lors de son incarcération dans la prison centrale française de Hanoi et sa belle-sœur, une révolutionnaire formée en U.R.S.S., fut fusillée – l’une des sources du caractère trempé de Giap.Le combattantLa plupart de ses adversaires, les Français puis les Américains, confirmeront cette réputation sanguinaire en faisant valoir que Giap, sur le champ de bataille, dispose sans hésitation de la vie de ses hommes pour vaincre coûte que coûte. Toutefois, il est encore convaincu, comme ses conseillers chinois, qu’il faut avoir l’avantage du nombre pour anéantir l’adversaire. Avant l’affrontement de Diên Biên Phu (mai 1954), il souligne même qu’il est nécessaire de disposer de trois fois plus d’hommes que l’ennemi et d’une puissance de feu cinq fois supérieure. Cette conception tactique sera peu à peu révisée, voire inversée, pendant la guerre américaine. En effet, la guerre révolutionnaire peut et doit s’engager sur un ennemi supérieur en nombre alors même que l’on dispose de très peu de forces. Pour ce faire, il convient d’affaiblir en permanence l’ennemi sur ses arrières et de recourir tant à la pression armée qu’à la propagande politique. Ainsi, lors du siège de Diên Biên Phu, cette tactique du grignotage s’est traduite par l’innovation des tranchées d’approche, émiettant les unes après les autres les positions françaises, avant de les submerger. De la même manière, dans leurs boyaux souterrains, les soldats du Viêt-cong pourront continuer de combattre les Américains, tandis que leurs homologues du Nord s’organisent en camps retranchés pour poursuivre la lutte en dépit des bombardements aériens.Néanmoins, avant de considérer le général Giap comme un stratège hors pair, on doit souligner que la première de ses qualités est d’être un planificateur méticuleux qui n’hésite pas à retarder une offensive si elle n’est pas prête et à s’opposer à l’avis de ses conseillers chinois, comme ce fut le cas lors de la chute de Diên Biên Phu. Que ce soit lors des opérations le long de la route coloniale no 4 ou lors de l’offensive du Têt en 1968, la supériorité des combattants de Giap tient à leur capacité de mobilité, à leur détermination et à l’efficacité des réseaux logistiques. Depuis le début du conflit, la guerre du Viêt-minh, énoncée sur la base des réflexions théoriques de Truong Chinh et mise en œuvre par Giap, était une guerre de mouvement, même dans les espaces les plus restreints. Elle s’articulait sur la conjonction de trois forces insurrectionnelles: l’armée régulière, les forces régionales, chargées de harceler l’ennemi sur ses arrières pendant l’engagement de la force principale, et les forces locales d’autodéfense qui, elles, répondaient aux besoins du renseignement, de la logistique et de la protection sanitaire des combattants. En mars 1957, lors du XIIe plénum du comité central, Giap propose un nouveau schéma organisationnel et explique que, désormais, il faut non seulement moderniser les forces armées, mais également les professionnaliser. À mesure qu’approche la reprise des combats pour la réunification, il réforme l’armée selon le modèle soviétique, en introduisant un corps de blindés ou encore en instaurant des grades et des insignes. Même si le général Giap fut l’un des apôtres de la coopération politico-militaire avec Moscou, pendant toute la guerre américaine, sa première conviction fut de croire qu’il fallait battre les G.I. non pas militairement mais moralement. Par conséquent, la guerre révolutionnaire devait être menée sur plusieurs fronts fortement imbriqués, sans ordre des facteurs, de la lutte politique à la lutte armée. Ainsi, dès la fin de la guerre américaine, Giap considère qu’il faut accorder une place primordiale à la (re)construction économique pour assurer la pérennité de la sécurité du Vietnam. Partisan d’une alliance stratégique avec l’Union soviétique, seule apte à ses yeux à disposer des moyens de moderniser l’appareil économique et militaire tout en garantissant l’intégrité territoriale du Vietnam, Giap a été l’un des meilleurs relais de Moscou dans la hiérarchie du P.C.V. Cette proximité idéologique explique, en définitive, bon nombre des difficultés qu’il a rencontrées durant sa carrière politique depuis quarante ans. Mais, dans les années 1990, alors que ses fonctions officielles restent limitées à la présidence du conseil de la science et de la technologie et à la commission de la démographie et du planning familial et que l’allié russe s’est considérablement affaibli, il ne faut pas croire que le général Vo Nguyên Giap est totalement retiré de la scène politique. Le 24 septembre 1990, il était encore, en uniforme d’apparat, à Pékin auprès du président Yang Shangkun, pour inaugurer les Jeux asiatiques, mais également pour symboliser la normalisation des relations sino-vietnamiennes après douze années de conflit. Si la vie du général Giap se confond avec celle de l’Armée populaire autant qu’avec celle de la république socialiste du Vietnam, sa pensée politique et militaire, ses schémas tactiques doivent autant au marxisme-léninisme asiatique qu’à l’histoire des révoltes vietnamiennes du XVe siècle, du XIXe siècle et aux classiques de la pensée militaire vietnamienne.
Encyclopédie Universelle. 2012.